Annulation de la cession d’un site e commerce, quelle responsabilité pour le dirigeant ?
WeRise Avocats a obtenu devant le tribunal de commerce de Paris, la nullité d’une cession de site e-commerce pour dol et la condamnation solidaire du dirigeant de la société vendeuse à réparer le préjudice moral de l’acheteur. C’est l’occasion rêvée pour nous de vous rappeler à travers ce dossier quelles sont les conditions pour mettre en jeu la responsabilité personnelle du dirigeant dans le cadre d’une cession frauduleuse d’un site e-commerce.
Les contours de la mise en œuvre de la responsabilité du dirigeant
Dans le cadre de ses fonctions, le dirigeant dispose des pouvoirs les plus étendus pour diriger la société et la représenter vis-à-vis des tiers. Ainsi, il peut engager sa responsabilité non seulement à l’égard de la société et de ses associés mais également à l’égard des tiers.
Alors que dans le premier cas, il est susceptible d’engager sa responsabilité pour faute de gestion, dans le second cas, sa responsabilité ne peut être engagée que dans un cas très limité.
En effet, la jurisprudence adopte une position protectrice du dirigeant de sociétés dans lesquelles la responsabilité est limitée puisque leur responsabilité ne peut être engagée par les tiers qu’en cas de faute détachable ou séparable de leurs fonctions.
Dans un arrêt de principe[1], la chambre commerciale de la Cour de cassation a défini la faute détachable des fonctions comme la « faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales ».
En général, la preuve du caractère détachable est assez compliquée à rapporter.
La responsabilité du dirigeant en cas de nullité de la cession d’un site e-commerce.
En matière de cession de fonds de commerce, la jurisprudence adopte la même position puisqu’elle retient que l’acquéreur peut engager la responsabilité délictuelle du représentant légal, si celui-ci a commis une faute détachable de ses fonctions, d’une exceptionnelle gravité.[2]
Dans notre affaire, une société avait mis en vente son site e-commerce et la clientèle s’y rattachant.
Un dossier de vente avait été communiqué à l’acquéreur comprenant notamment un contrat de vente du site, un rapport de statistiques relatifs au trafic généré par le site, une attestation de chiffres d’affaires établie par un expert-comptable faisant apparaitre des chiffres très encourageants générés par l’exploitation du site e-commerce.
Malheureusement, peu de temps après la vente, l’acquéreur s’est rendu compte que les informations comptables et financières communiquées par le représentant légal et également associé unique de la société, étaient mensongères.
En effet, la base de données afférente au site marchand était vierge puisqu’elle ne contenait aucun fichier-clients, ni aucun historique des commandes passées. En outre, les montants relatifs aux trois derniers chiffres d’affaires annuels étaient faux car le site marchand n’avait été créé qu’un an auparavant. Enfin, la personne présentée comme l’expert-comptable de la société, qui avait rédigé l’attestation de chiffres d’affaires, n’en avait pas la qualité et exerçait illégalement la profession.
L’acquéreur, assisté par nos soins, a donc décidé de saisir le tribunal de commerce de Paris pour obtenir d’une part la nullité de la cession du site e-commerce pour dol et la restitution des sommes versées, et d’autre part la condamnation de la société cédante et de son dirigeant à des dommages et intérêt en réparation du préjudice moral subi.
Nous soutenions devant le tribunal que le dirigeant avait bien commis une faute intentionnelle et d’une particulière gravité en utilisant et communiquant sciemment des documents comptables et commerciaux faux et mensongers et en participant à l’élaboration de ceux-ci.
Nous soutenions également que le dirigeant ne pouvait pas être en mesure d’ignorer la fausseté des informations communiquées dans la mesure où il était le seul dirigeant mais également l’associé unique de la société cédante. Il était donc parfaitement clair que celui-ci avait agi intentionnellement et uniquement dans le but d’enrichir sa propre société. Ce comportement était donc bien incompatible avec l’exercice normal des fonctions d’un dirigeant qui doit agir dans l’intérêt social et non dans son propre intérêt.
Sans grande surprise, le tribunal de commerce de Paris n’a pas hésité à prononcer la nullité de la cession du site pour dol en raison notamment de la fausse attestation comptable communiquée par la société cédante puisque celle-ci avait conditionné le consentement de l’acheteur.
Ce faisant, le tribunal a rendu une position conforme à la jurisprudence traditionnelle qui adopte depuis longtemps une position non équivoque retenant par exemple que « constitue une manœuvre dolosive le fait de falsifier le bilan comptable qui sert de base aux négociations de la cession de droits sociaux » [3] ou qu’une cession d’actions doit être résolue dès lors que « le président a transmis des documents comptables contenant des informations inexactes et mensongères qui ont vicié le consentement des acquéreurs ». [4]
Par ailleurs, le tribunal de commerce de Paris a également fait droit à notre demande de condamnation solidaire du dirigeant à réparer le préjudice moral subi par l’acheteur.
Le tribunal a jugé que la participation active du dirigeant dans l’établissement et la communication des fausses données comptables, notamment de l’attestation litigieuse, constituait bien une faute détachable de ses fonctions.
Cette double condamnation est très rassurante pour l’acheteur.
L’obtention de la condamnation solidaire du dirigeant est très souvent un enjeu majeur lors d’une action en responsabilité contre une société.
En effet, il n’est pas rare que le dirigeant, associé majoritaire, tente d’échapper à la condamnation de sa société en décidant une dissolution anticipée. Le demandeur se retrouve alors avec un jugement qui ne peut être exécuté et doit à nouveau assigner le liquidateur.
L’intérêt est donc de tenter d’obtenir la condamnation personnelle et solidaire du dirigeant qui n’aura alors plus aucun moyen d’échapper à sa condamnation.
[1] Cass.com., 20 mai 2005, n°99-17.092
[2] Com. 12 juin 2007, n°06-14.864
[3] Cass. com., 18-06-1973, n° 72-12.160 ; CA Versailles, 3e, 19-05-1995, n° 8764/92
[4] CA Paris, 1ère, B, 16-04-1992, n° 90-15327
Article rédigé en collaboration avec Madame Vaïmiti MAI, juriste.
En complément nous conseillons la lecture de notre article sur les pratiques frauduleuses en matière de cession de site e commerce en cliquant ici