Fusion rapide : quels sont les pièges à éviter ?
La fusion rapide est un montage d’ingénierie juridique, financière et fiscale qui se décompose en deux étapes : d’une part, l’acquisition d’une société cible par la création d’une société holding (schéma classique du LBO) et d’autre part, une fusion post LBO dans un court délai entre la holding et la cible.
L’intérêt de ce type de montage est de maximiser l’effet de levier financier du LBO. En effet, grâce à la fusion, le remboursement de la dette d’acquisition se trouve grandement facilité car en plus des remontées de dividendes du LBO classique, la holding dispose d’un accès direct à la trésorerie ainsi qu’à l’ensemble des actifs de la cible.
La fusion rapide permet donc d’éliminer le décalage de trésorerie classique du LBO puisque disposant directement de la trésorerie de la cible, la holding absorbante n’a plus à attendre les remontées de dividendes. Dès lors, sa capacité de remboursement est optimisée au maximum.
Enfin, ce montage permet la compensation directe entre les charges financières de la holding et les résultats bénéficiaires de la société cible.
Si l’opération présente donc des intérêts évidents, il existe cependant certains risques financiers, juridiques et fiscaux majeurs qu’il convient d’éviter lors du montage.
1 – Les risques financiers
Comme expliqué plus haut, l’objectif d’une opération de LBO suivi d’une fusion rapide est de pouvoir procéder facilement au remboursement de la dette d’acquisition de la holding.
Ainsi pour satisfaire cet objectif, il faut donc que le bénéfice de la cible absorbée soit distribué systématiquement sous forme de dividendes qui seront ensuite affectés au remboursement de la dette ainsi que la trésorerie disponible.
Ce montage peut très vite avoir des effets pervers et peser sur la santé économique et financière de la société cible absorbée.
En effet d’une part, la distribution systématique du bénéfice sous forme de dividendes et l’affectation de la trésorerie disponible au remboursement de la dette prive la cible de pouvoir autofinancer ses investissements et son BFR. Elle devra donc systématiquement avoir recours à l’endettement pour investir et financer son BFR.
Or si la cible a déjà utilisé sa capacité d’endettement avant la fusion, elle ne pourra donc plus emprunter ni pour investir ni pour financer son BFR. Si tel n’est pas le cas, le recours à l’endettement sera court-termiste puisqu’il va arriver un moment où la capacité d’endettement de la cible sera saturée.
Dans les deux cas, le résultat est le même, seul le délai diffère : la cible ne pourra plus investir ni financer son BFR. Une telle situation conduit quasi systématiquement à l’arrêt de l’activité.
D’autre part, le remboursement des dettes à court terme devant se faire en principe avec le cash disponible, l’affectation de l’ensemble de la trésorerie au remboursement de la dette d’acquisition de la holding peut donc très vite engendrer des problèmes de solvabilité chez la cible. Là encore, une société qui n’est plus solvable n’est plus viable.
Ainsi pour éviter la catastrophe, il est nécessaire de n’affecter qu’une partie de la trésorerie de la cible au remboursement de la dette d’acquisition.
Partant, avant l’opération globale, il convient d’évaluer très correctement l’état de la trésorerie de la cible, sa capacité d’endettement, l’état de ses investissements actuels pour déterminer quels vont être ses besoins d’investissements futurs et son BFR.
Il faut ensuite dresser un tableau de flux prévisionnels de trésorerie en partant du résultat d’exploitation, en y rajoutant les amortissements, et en soustrayant les dépenses d’investissement et la variation du BFR. C’est sur la base de ce flux net qu’il faut se baser pour établir un plan de remontée de trésorerie à affecter au remboursement de la dette d’acquisition.
Selon moi, ce genre de montage est à éviter dans le cas d’une société cible d’exploitation qui a un besoin constant de renouveler ses investissements.
2 – Les risques juridiques
La mise en place de ce montage pose plusieurs problématiques juridiques majeures qu’il faut absolument prendre en compte avant l’opération.
a) L’interdiction des avances, prêts ou sûretés consentis par une société en vue du rachat de ses propres actions.
Principe posé par l’article L. 225-216 du Code de commerce qui dispose qu’une société par action ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de l’achat de ses propres actions par un tiers.
Les sanctions sont lourdes puisque le juge peut prononcer la nullité du prêt ou de la garantie irrégulièrement consentis, et les dirigeants encourent une peine de 150.000 euros d’amende.
Dès lors, il ne faut pas que la fusion ait pour unique dessein de contourner l’interdiction posée par l’article L. 225-216.
Il convient donc d’éviter les situations suivantes :
- Prévoir la fusion comme condition d’obtention du prêt de la holding pour l’acquisition de la cible ;
- Consentir dans le cadre du LBO ou dans en temps très proche de la fusion des garanties portant sur les anciens actifs de la cible au profit des prêteurs de la holding ;
- Procéder à la vente en vue du remboursement du prêt d’acquisition des anciens actifs de la cible qui sont pourtant nécessaires à l’exploitation et au développement de son activité.
Pour éviter la caractérisation d’une fraude dans la fusion, il faut que celle-ci ne soit pas dépourvue de toute justification économique et financière pour les sociétés concernées par l’opération c’est-à-dire qu’elle soit réalisée en respectant l’intérêt social de chacune. On retombe ici dans les justifications classiques d’une opération de fusion traditionnelle : la recherche de nouvelles synergies, la conquête d’un nouveau marché, la réduction des coûts d’agence, …
b) Abus de majorité.
A titre de rappel, on parle d’abus de majorité lorsque la décision litigieuse est contraire à l’intérêt social et prise dans l’unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des minoritaires.
Ainsi la fusion rapide qui a simplement pour objectif d’améliorer la structure financière et la capacité de remboursement de la holding absorbante au détriment de la cible absorbée peut très vite caractériser un abus de majorité. La jurisprudence a par exemple retenu l’abus de majorité pour des résolutions ayant pour conséquences de dégrader sensiblement le patrimoine de la cible au profit de la holding dans laquelle le groupe majoritaire a des intérêts prépondérants.
L’action fondée sur un abus de majorité peut conduire à l’annulation de la décision de fusion et à une condamnation des actionnaires majoritaires à des dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice des minoritaires.
Pour éviter cette situation, il convient donc de s’assurer qu’il n’y aura pas de présence minoritaire en rachetant 100% du capital de la cible ou être vraiment certain que la fusion sera opérée dans l’intérêt social des deux sociétés de façon à ce qu’une éventuelle action soit rejetée.
c) L’abus de bien sociaux.
Le Code de commerce sanctionne le délit d’abus de biens sociaux qui vise les dirigeants de mauvaise foi qui ont fait des biens, ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés, directement ou indirectement.
Le délit est sanctionné par 5 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende.
Ainsi l’abus de biens sociaux a pu être retenu dans le cadre d’opération de fusion ne profitant qu’à la holding et contraire à l’intérêt social de la cible.
C’est notamment le cas lorsque la holding ne dispose pas des ressources financières suffisantes pour rembourser le prêt d’acquisition et qui, de ce fait, utilise la trésorerie de la cible pour financer le rachat et la prise de contrôle (Cass. Crim. 24 juin 1991, P n° X 90-86.584).
Ou encore lorsque les sacrifices financiers ne sont consentis par la cible que dans l’unique but de permettre à la holding d’opérer le rachat, qu’ils comportent des risques importants et sont dépourvus de toutes contreparties suffisantes (Cass. Crim. 10 juillet 1995 n° 3367).
Pour écarter la qualification d’abus de biens sociaux, la jurisprudence a élaboré une théorie de l’intérêt commun du groupe : le concours financier de la cible à la holding doit être dicté par un intérêt économique, financier, ou social commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble du groupe, et ne doit être ni démuni de contrepartie ou rompre l’équilibre des engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge.
Il s’agit donc toujours de la même logique, la décision de fusion doit être prise dans l’intérêt social commun de l’ensemble des sociétés concernées et non seulement de la holding.
d) L’abus de pouvoir.
Le Code de commerce sanctionne le fait pour les dirigeants qui, de mauvaise foi, font usage des pouvoirs qu’ils possèdent ou des voix dont ils disposent en cette qualité, alors qu’ils savent que cet usage est contraire à l’intérêt social de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. Les peines sont identiques à celle prévues pour un abus de biens sociaux.
Il s’agit ici de la même logique que celle établit précédemment : le délit pourra être retenu dès lors que l’opération de fusion est contraire à l’intérêt social du groupe et qu’elle ne correspond à aucune stratégie économique ou financière commune.
Le fait de prévenir les risques financiers en laissant une capacité financière viable à la cible permet de réduire, dans le même temps, chacun de ces risques juridiques.
Bien évidemment, cela est difficilement compatible avec la logique des LBO à très fort effet de levier dans lesquels la holding supporte un niveau d’endettement très élevé. Il faudra donc prendre en considération l’ensemble de ces risques avant de se lancer dans une telle opération.
3 – Les risques fiscaux
D’un point de vue strictement fiscal, on peut se poser la question de savoir si ce type de montage est susceptible de tomber sous la qualification de l’abus de droit ou de l’acte anormal de gestion.
En ce qui concerne la qualification de l’abus de droit, l’administration fiscale doit démontrer que le montage a été mis en place dans un but exclusivement fiscal.
Dans la grande majorité des cas, les arguments économiques et financiers peuvent rapidement permettre de contrecarrer le but exclusivement fiscal. C’est pourquoi aujourd’hui, aucune opération de restructuration de ce type n’a encore été qualifiée d’abus de droit.
En ce qui concerne l’acte anormal de gestion, le risque est d’avantage réel.
L’administration utilise un faisceau d’indices pour déterminer si l’opération constitue ou non un tel acte. Parmi lesquels, le délai séparant l’acquisition de la fusion, le niveau de capitalisation de la holding, l’importance des dettes d’acquisition subsistant au moment de la fusion par rapport au financement initial, l’exercice ou non par la holding avant la fusion d’une activité autre que la détention des titres de la société cible.
Ce risque pourra être écarté si l’opération est justifiée dans l’intérêt économique et financier du groupe ou si le niveau d’endettement de la holding reste à un niveau raisonnable ou habituel.